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Devenir mère au Zanskar - Himalaya Indien

Mon amie Salomé DEBOOS, éthnologue est spécialiste du Zanskar (Himalaya indien). Elle travaille à l'Université de Strasbourg, à l'Institut d'Ethnologie et d'Anthropologie de la faculté des Sciences Sociales, et est membre statutaire du laboratoire de recherche le S.A.G.E. – UMR 6373. Elle a effectué différents voyages dans cette contrée Indienne méconnue, loin de l'image médiatique proposée par une certaine émission de voyage en terre Inconnue. Elle a eu la gentillesse de nous proposer deux articles nous présentant cette région. L'un qui vous la situe de manière géographique et géopolitique , et l'autre, celui que vous allez lire à présent, sur les femmes, les mères qu'elle a rencontré là-bas. Ce reportage ethnologique et profondément humain témoigne de manière simple et précise des conditions de vie des mères en devenir au Zanskar.



Photo prise par Salomé DEBOOS- propriété exclusive Salomé DEBOOS (copyrigt 2014)
Photo prise par Salomé DEBOOS- propriété exclusive Salomé DEBOOS (copyrigt 2014)
Depuis une quinzaine d’année je me rends régulièrement au Zanskar, vallée perchée à 3500m d’altitude, entourée de cols culminants à 5300m (Col du Omasi-la). Cette vallée de l’Himalaya indien, concomitante avec les vallées du Haut Indus et la région du Kashmir, appartient à ce que l’on nomme communément le grand Tibet. Depuis un peu plus de trois siècles, musulmans et bouddhistes peuplent cette vallée (Deboos, 2010). Les maisons musulmanes se cantonnent à l’ancienne capitale du royaume du Zanskar, Padum, et ne représente aujourd’hui que 7,27% de la population de la vallée qui est estimée à 13 673 habitants (recensement officiel de 2012).  

L’ensemble des Zanskarpas sont classés scheduled tribe et sont dits « boto » ce qui signifie « bouddhiste » en zanskari. Ces hommes et femmes, musulmans sunnites ou bouddhistes du grand-véhicule vivent des hivernages qui les isole du monde sept à neuf mois par an. Aussi, ce qui fait communauté est avant tout la communauté de sol. C’est cette considération première d’appartenance à un même espace, prévalant sur l’appartenance à un dogme religieux qui permettait jusque dans les années 1990, des mariages inter-religieux (Deboos, 2013), tout comme c’est encore le cas dans les vallées du Da-Hanu ou de la Nubra. Ces mariages inter-religieux au Zanskar étaient toujours des mariages d’amours par opposition à la majorité des autres mariages qui étaient arrangés par les familles des impétrants : c’est ainsi que la grand-mère de la famille où je résidais m’a dit qu’elle avait demandé le grand père en mariage alors qu’il avait perdu sa première épouse et que les enfants étaient encore en bas âge.

Dans cet article je ne reviendrais pas sur l’organisation sociale et la construction du genre au Zanskar (Dollfus, 1989 ; Gutschow, 2004 ; Bhasin, 1999) mais présenterai les paroles de femmes relatives à leur construction en tant que mère.

En effet, la mise au monde d’un enfant est un moment important dans la vie d’une femme Zanskarpa. Plusieurs femmes bouddhistes et musulmanes en témoignent. Donner naissance est souvent une question de vie ou de mort pour la mère, la majorité des femmes accouchant chez elles, rarement avec une assistance médicale ; bien souvent l’infirmière n’a pas été formée pour arrêter une hémorragie postnatale suite au déchirement du col de l’utérus ou le décollement du placenta. Peu de femmes connaissent leur corps et les raisons physiques de la procréation (notion absente de ce qu’est un ovaire, un spermatozoïde..). Les cours de biologie ne portent que rarement sur ces sujets, même s’ils sont au programme des classes de la dixième et de la douzième, lorsque les jeunes ont atteint l’âge de la puberté. Ces témoignages ont étés recueillis auprès de différentes femmes musulmanes et bouddhistes permettent de constater la similitude de conception qu’elles ont de la procréation et des tabous et superstitions qui y sont liés.

La contraception

La contraception est un sujet difficile à aborder, car si les femmes entre elles peuvent être crues et grivoises, elles ne parlent pourtant jamais des moyens dont elles usent pour réguler leurs grossesses. 

Il a fallu quelques temps avant que Zoubida se livre à ce sujet. Un soir, alors que les hommes, Akbal (1) Mémé Abdul Aziz (2) étaient partis se coucher, nous étions dans la cuisine d’hiver. C’était le lendemain de l’abattage du bovin qui allait nous servir de viande tout l’hiver. Un bout de la trachée de la bête était dans une assiette de la cuisine. Zoubida s’en saisit et mima un sexe en érection, devant ma gêne, Abi (3) partit alors dans un éclat de rire. Zoubida me signifia comment les hommes du Zanskar se comportaient et Abi d’ajouter son commentaire.

Finalement, je dus dépasser ma pudeur et une fois que la grand-mère fut partie se coucher, Zoubida commença à parler de ce qui la touchait réellement : elle aborda le thème de la régulation des naissances, plusieurs fois elle me questionna sur comment les hommes et les femmes font l’amour en Europe. Ainsi, je pus lui renvoyer ses questions et lui demander comment les femmes du Zanskar procédaient. Cette discussion se renouvela plusieurs fois avec quelques autres femmes de la communauté de Padum (bouddhistes et musulmanes) durant mon séjour, toujours hors présence masculine et en tête à tête. Souvent elles me confiaient que lorsqu’une femme de la génération au-dessus d’elles leur demandait comment elles s’y prenaient pour ne plus avoir d’enfant, elles répondaient qu’elles n’avaient plus de rapports avec leur époux. Cette grande pudeur à parler de l’intimité s’est rencontrée chez plusieurs femmes bouddhistes et musulmanes, qui, suite à des questionnements sur les pratiques européennes, avaient abordé le sujet.

Lors d’entretiens mené à l’hôpital de Padum, les infirmières m’expliquèrent que les naissances étaient régulées dans la région par le seul usage du préservatif.

Ainsi, les femmes ne peuvent être maîtresses de leur corps, puisque ce sont les hommes qui se procurent ces préservatifs à l’hôpital. Aucune femme ne s’y rend pour en demander et les hommes eux-mêmes en font la demande à une connaissance qui travaille à l’hôpital. J’eu la confirmation de cette pratique au cours de conversations engagées par quelques hommes, individuellement, à des moments différents. Pour se débarrasser des préservatifs utilisés, les femmes me confient souvent qu’elles les mettent discrètement dans un papier et les jettent en passant devant les grands bidons destinés à brûler les déchets non biodégradables. L’ensemble des données recueillies auprès des femmes bouddhistes et musulmanes ayant abordé le sujet de la contraception, à leur seule initiative, m’a confortée dans l’hypothèse que les hommes régulent les actes de procréation et que si les femmes n’ont que peu d’enfants qui survivent, c’est en partie parce que le taux de mortalité infantile est élevé et que les femmes allaitent, ce qui biologiquement influe sur la durée de leur période d’infécondité.

La grossesse

Propriété exclusive Salomé DEBOOS - Copyright Salomé DEBOOS
Propriété exclusive Salomé DEBOOS - Copyright Salomé DEBOOS
Les femmes enceintes ne sont pas pressées d’annoncer la nouvelle de leur état aux autres femmes de la communauté. Généralement, ce n’est qu’au bout du cinquième mois, lorsqu’elles ne peuvent plus cacher leur état sous leur gonche (manteau), que les autres femmes l’apprennent. Les différents témoignages recueillis auprès des femmes musulmanes et bouddhistes de Padum, font écho de craintes et peurs vis-à-vis de l’enfantement; d’ailleurs, les discours que ces femmes bouddhistes et musulmanes tiennent à leurs filles sont relativement similaires. Avoir une fille pour aînée est bien considéré, car cela assure une aide efficace pour la mère et pour le père, en cas de décès de la mère en couches, une personne pouvant prendre la relève ainsi que plusieurs femmes en témoignent :  « […] avoir une fille première née est de bon augure pour la femme car cela lui permet d’avoir une aide précieuse pour les travaux de la maison et s’occuper des bêtes. »

Lors des entretiens avec les femmes de Padum, nous avons échangé à propos de leur représentation de leur corps, notamment lors de la grossesse. Nous avons également abordé leur rapport à la médecine au regard de leur état et le discours qu’elles tiennent à leur fille sur la maturité sexuelle, ainsi que les relations intimes dans le couple. Ces femmes n’ont qu’une idée très vague de ce qui se passe dans le corps au moment de la fécondation. Elles savent simplement que sans la semence de l’homme il ne peut pas y avoir d’enfant. Elles ne peuvent se prononcer sur l’existence préalable chez la femme d’ovules et ne font pas de lien direct entre les menstrues et la présence d’ovules non fécondées. De même, le développement de l’enfant se fait certes dans le ventre de la mère et elles l’imaginent dans une poche, mais ne peuvent m’en dire davantage.

La condition de la femme à Padum est différente de celle des autres femmes du Zanskar, du fait de la présence d’un hôpital pratiquant la médecine allopathique. Ainsi, les femmes, musulmanes ou bouddhistes, peuvent à la fois se tourner vers la médecine traditionnelle, exercée par les Amchi, médecins traditions, (Gutschow, 2009 ; Pordie, ) et se rendre chez le Lhapa ou la Lhamo (oracles) pour s’assurer de leur état, ou encore avoir recours à la médecine occidentale.

Lorsqu’une femme s’aperçoit qu’elle n’a pas été indisposée deux mois de suite, généralement elle s’en ouvre à une confidente et toutes les deux vont voir une infirmière de Padum, non pas à l’hôpital où elle exerce, mais chez elle, un soir. Les deux infirmières ont chez elles un stéthoscope et un tensiomètre. L’une d’entre elles habite à Padum, alors que la seconde habite à Pipiting, village voisin, à une quinzaine de minutes de Padum. Ainsi, les deux femmes arrivent chez l’infirmière de leur choix et après avoir bu un thé sucré et un thé salé, la conversation change et la consultation commence. L’infirmière interroge sur les dates des dernières règles, la femme répond par l’approximative, puis elle pose quelques questions sur sa poitrine : si les seins sont douloureux, s’ils sont durs, si elle a des nausées matinales…

Lorsque ce n’est pas la première grossesse, la femme sait comment cela se manifeste et peut ne pas attendre aussi longtemps avant d’aller voir l’infirmière. Celle-ci procure des vitamines en injections quotidiennes par cures de dix jours à la femme enceinte. Lors d’une visite amicale, Palzes confie qu’elle est enceinte. Elle précise qu’elle préfère ne pas en parler à tout le monde car beaucoup de femmes font des fausses couches ou encore pour ne pas attirer les esprits de sous-terre sur elle. Elle dit aller à l’hôpital régulièrement pour des injections de vitamines. Pour l’accouchement elle a demandé à une amie bouddhiste et à l’infirmière de Padum de la seconder. Certaines femmes ne font pas une telle démarche et restent chez elles, s’en ouvrant uniquement à une ou deux confidentes.

Durant la grossesse, aucun interdit sexuel ne prévaut selon les dires d’hommes et de femmes de religion musulmane à Padum.

Suivant plusieurs témoignages, les cas de gémellité sont courants chez les musulmans alors qu’ils sont presque inexistants chez les bouddhistes :
« Dans le passé, presque la moitié des femmes accouchaient au moins une fois de jumeaux. Un peu moins du tiers des femmes étaient stériles, ce qui obligeait l’homme à prendre une seconde épouse. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un dixième des femmes qui accouchent de jumeaux et dans la génération de Zoubida, seules trois femmes sont stériles (ce qui représente environ 1% de cette génération). »

Les femmes commencent à parler de la transformation de leur corps à leurs filles une fois que celles-ci semblent avoir les premières douleurs marquant l’arrivée des règles. Ainsi, vers l’âge de douze ou treize ans, la jeune fille musulmane ou bouddhiste apprend les interdits liés à la période pendant laquelle elle est indisposée;
  • Si elle est musulmane, elle ne doit pas toucher le Coran, pendant la période de Ramadan, elle peut couper le jeûne, mais en toute discrétion. Le période d’interdits mensuels dure sept jours et le septième jour, elle doit se laver entièrement, changer d’habit et prier 
     
  • si elle est bouddhiste, elle ne doit pas entrer dans la pièce où se trouve l’autel
     
  • qu’elle soit bouddhiste ou musulmane, elle ne doit pas dormir sur la même couche que son époux, car elle est considérée comme impure et ne doit pas avoir de relation sexuelle avec celui-ci.
Les mères musulmanes ou bouddhistes expliquent à leurs filles que leur devoir conjugal est d’accéder aux désirs de leur époux, que l’homme n’est pas fait comme la femme et que : « Les enfants viennent de la pénétration de l’homme dans le corps de la femme, cela se faisant par le trou d’où coule une fois par mois le sang [… »

Les femmes bouddhistes ajoutent à cette dimension celle de la normalité de la souffrance lors de l’accouchement ; celle-ci étant la résultante de leur incarnation en tant que femme, donc « un être ayant une somme élevée de mauvais karma dans les vies passées ». Les femmes musulmanes justifient les douleurs de l’enfantement comme résultant de la condition féminine, elles sont là pour « servir » l’homme, leur époux, et banalisent le fort taux de mortalité des femmes en couches, tout comme celui des nouveau-nés. Les mères disent à leurs filles que la « volonté d’Allah » s’exprime à ce moment: soit la mère survit, soit elle meurt il en va de même pour l’enfant.

L'accouchement

Photo prise par Salomé DEBOOS - propriété exclusive Salome DEBOOS
Photo prise par Salomé DEBOOS - propriété exclusive Salome DEBOOS
L’accouchement est une affaire exclusivement féminine, les hommes sont éloignés de la maison lorsque les premières contractions apparaissent et ils ne peuvent revenir qu’après la venue au monde de l’enfant.

Le travail peut durer très longtemps. Zoubida narre qu’un an après son mariage avec Akbal, elle accoucha d’une fille et qu’elle perdit beaucoup de sang. Elle précise que le travail dura quatre jours et trois nuits. Elle explique que son bassin était trop étroit pour laisser passer la tête de l’enfant, finalement ce dernier sortit, haletant, mais ne pleura ni ne cria, le bébé mourut deux heures après la naissance. Avant Harif, Zoubida eu un garçon mort à la naissance et après Naïm, un garçon également mort à la naissance. Tous ses accouchements, suivant ses dires, ont été très durs et ont duré chaque fois quatre jours.

Lors d’une visite chez une parente maternelle de Zoubida venant juste d’accoucher, nous avons appris que le travail avait duré deux jours et deux nuits. La jeune mère était épuisée.

Lors de l’accouchement, la future maman, qu’elle soit bouddhiste ou musulmane, choisit d’être assistée par deux ou trois personnes, cela dépendant uniquement d’elle : en général, deux femmes aident la femme enceinte à accoucher et une vieille femme assiste et coupe le cordon ombilical. La majorité des femmes pensent et affirment que ce qu’il y a de mieux, c’est deux femmes expérimentées, une jeune et une vieille. Les femmes précisent que la meilleure position pour accoucher est lorsque l’enfant sort par derrière ou alors il peut également sortir par devant et là elle peut être soutenue par ses amies.

Lors de l’accouchement, si la femme ne peut pas avoir d’assistance médicale, elle a recourt aux remèdes traditionnels pour atténuer les souffrances ; ces remèdes sont à base de plantes et d’huiles, qu’elle applique sur le corps et la plante des pieds en massant légèrement et façon circulaire.

Ces femmes n’ont pas de notion médicale et lors d’hémorragie, ne savent pas quels sont les gestes salvateurs. C’est pourquoi, nombreuses sont celles qui décèdent en couches, l’assistance médicale, lorsqu’elle est disponible arrivant souvent trop tard. Les femmes de Padum, malgré la proximité de l’hôpital et donc de la présence d’un médecin diplômé, ne font jamais appel à lui lorsque le travail commence, ce n’est qu’en cas de perte de conscience de la mère et de forte hémorragie qu’elles envoient quelqu’un le chercher. Aussi, dans la majorité des cas d’urgence, le médecin arrive trop tard ou, si l’accouchement se fait en hiver, il est inaccessible.

Après avoir mis l’enfant au monde, la mère va aux toilettes et y laisse le placenta qu’elle cache soigneusement dans un coin (4). Environ deux mois après l’accouchement, lorsqu’elle sera en mesure de marcher et sortir, elle ira le rechercher pour l’enterrer dans les environs de la maison, à un endroit qu’elle tient secret. Cette démarche, qu’elle soit bouddhiste ou musulmane, elle l’effectue seule et à l’abri des regards. Le lieu d’ensevelissement ne doit pas être un champ, ni la propriété de quelque personne que ce fut.

Les enfants, en général, naissent avec des cheveux et si ce n’est pas le cas, les femmes se défendent de toute superstition. Dans les premières heures qui suivent la venue au monde de l’enfant, des talismans sont accrochés à son lange, afin de le protéger contre les esprits malicieux et/ou malfaisants.
«Les musulmans vont voir le faiseur de Taviz pour obtenir des protections pour le nouveau-né. Les talismans bouddhistes sont mis sur l’enfant dès les premières heures de sa naissance. Si un bébé naît avant terme, aucune précaution n’est prise : s’il est viable, c’est heureux, sinon il est brûlé. Si le bébé tarde trop à naître, la femme va alors consulter le médecin ou l’Amchi, suivant son lieu d’habitation. »

Photo prise par Salomé DEBOOS - propriété exclusive Salomé DEBOOS
Photo prise par Salomé DEBOOS - propriété exclusive Salomé DEBOOS
Pendant le mois qui suit la naissance, la mère musulmane ou bouddhiste est soumise à un régime alimentaire particulier. La mère musulmane ne mange que de la Thukpa (5), de la baba (6), du beurre. Elle ne boit pas de thé, uniquement de l’eau bouillie et ce n’est qu’à la fin de ce mois qu’elle pourra de nouveau manger du riz, des lentilles et boire du thé.

Le régime des femmes bouddhistes varie quelque peu, puisqu’elles ne mangent ni fromage ni viande durant le mois qui suit l’accouchement, ne boivent que du thé sucré et du sa-tcha (7) avec beurre et sans sel. D’après les femmes, ce régime permet à la jeune mère, encore faible, de pouvoir s’alimenter sans que la digestion ne soit difficile. Ne pas manger trop de sel et boire beaucoup permet également au lait maternel de ne pas être trop salé, car selon ces femmes, le bébé ne doit pas manger et boire trop de sel dans son jeune âge. Elles ne peuvent justifier ces croyances et affirment les tenir de leurs mères et grands-mères.

L’enfant est enveloppé dans différentes couches de tissu, n’a pas de couche ou lange particulier qui lui entoure le fessier. Lorsqu’il les salit, les tissus sont changés et mis à sécher. En plus de ces tissus, il est couvert d’une peau d’agneau, la laine étant en contact avec les tissus, puis une couverture. En général, on ne voit pas son visage, la couverture le recouvrant entièrement. Seul un interstice est laissé, pour que le bébé puisse respirer et la mère l’entendre pleurer. Il arrive que l’enfant meure dans la nuit et que la mère ne s’en aperçoive qu’au petit matin, étonnée de ne pas l’avoir entendu pleurer et réclamer le sein. Lorsque la mère a survécu, elle allaite son enfant pendant les deux premières années de la vie de celui-ci. Si la mère décède en couches et qu’aucune femme de la famille n’a eu d’enfant dans la même période, alors le nouveau né est nourri au lait de brebis, puis au lait de vache.

L’alaitement et le régime alimentaire particulier durent quarante jours, pendant lesquels les femmes n’ont pas de relation sexuelle avec leur époux ainsi que l’explique Zoubida. Akbal précise que s’il n’y a pas d’interdit sexuel avant l’accouchement, après la venue de l’enfant, les parents dorment dans des couches séparées et ce pendant quarante jours, durée de l’abstinence. À la fin de cette période, la femme musulmane se lave entièrement, met des habits propres ou neufs, fait la prière (Nimaz), puis pourra de nouveau partager la couche de son époux.

Le nom de l’enfant et les cadeaux à la naissance

Si le fait de donner un nom à l’enfant est une affaire d’homme, les cadeaux sont une affaire de femme.

En effet, dans l’heure qui suit la venue au monde de l’enfant, il est lavé, puis enroulé dans différents tissus et une peau d’agneau, avant d’être présenté au père. En cas d’absence du père, c’est le grand-père paternel de l’enfant qui le reçoit. En cas de décès du père et du grand-père paternel, c’est un frère de l’aïeul ou un frère aîné ou cadet du père à qui sera présenté l’enfant. L’ordre de préférence ci-avant cité, est strictement respecté.

Une femme musulmane de Padum explique : « […] le père étant militaire, il était absent à l’heure de la naissance, mais avait laissé ses instructions pour le nom de l’enfant. Ainsi, le jour de la naissance, c’est le grand père qui a crié son nom, la grandeur Allah et que « Mohammed est son prophète », dans l’oreille du nouveau-né. »

Puis, à partir du lendemain, les femmes de la communauté locale, musulmanes et bouddhistes, vont venir rendre visite à la jeune accouchée. Elles viennent dans la journée entre le lever et le coucher du jour 1, sans préférence horaire. Chacune d’elle apporte des cadeaux : avant l’ouverture de la route, ils étaient principalement d’ordre alimentaire, mais aujourd’hui, en été, les femmes vont dans les boutiques de Padum et achètent des vêtements pour enfant. Les naissances en hiver sont rares et dans ce cas, les cadeaux sont d’ordre alimentaire. Les dons de nourriture sont prélevés dans les réserves de la maison, avec l’accord de la femme la plus âgée, chargée de gérer les réserves alimentaires de la maisonnée. Cela peut être de la tsampa (8), du beurre, du fromage, des légumes séchés ou du jardin, suivant la saison ou encore des abricots secs qu’elles auront achetés dans les boutiques de Padum. Les femmes vont rendre visite par deux ou trois, rarement seules ; elles se donnent rendez-vous et arrivent ensemble chez l’accouchée.

Les femmes bouddhistes et musulmanes rendent indifféremment visite à la nouvelle maman. Durant les quarante jours qui suivent l’accouchement, la soeur de l’accouchée ou sa belle-mère ou sa propre mère ou encore sa fille aînée si elle est suffisamment grande, s’occupent de préparer les repas pour elle ainsi que de recevoir les femmes qui lui rendent visite. Du thé sucré puis du thé salé, avec des biscuits ou des pains locaux sont servis aux visiteuses. Elles restent deux à trois heures de temps, à discuter, tricoter et rire ensemble, puis s’en vont chacune de leur côté. Les visiteuses seront à leur tour visitées par l’accouchée et son bébé après les quarante jours d’alitement. Visiter et rendre la visite est une chaîne sans fin, qui est pratiquée par les femmes zanskarpas, quelque soit leur religion. Cette circulation des cadeaux et de nourriture entre les maisons lors de la venue au monde d’un enfant se retrouve en d’autres occasions : décès, mariages, fêtes de Lhossar (fête du Nouvel du calendrier bouddhiste) et de l’Aïd.

Bibliographie

1 Du fait de la profondeur de la vallée, le lever et coucher du jour ne correspondent pas avec le lever et le coucher du soleil dans la vallée
 
BHASIN VEENA
Tribals of Ladakh- Ecology, human settlements and health, Kamla Raj Enterprises, Dehli, 1999
 
DEBOOS SALOME
2010,
Être musulman au Zanskar, Himalaya indien, Editions Universitaires Européennes, Saarbrücken, ISBN 978-613-1-52976-4, 236 pages, 60 figures et photos, 15 tableaux, Index des termes en langue vernaculaire utilisés.
2010,
« Vivre ensemble dans un contexte pluriconfessionnel, fiction ou réalité? Le cas des Bouddhistes et Musulmans au Zanskar. » In: Myriam Klinger & Sebastien Schehr (eds): Lectures du conflit, concepts, méthodes, terrains. Strasbourg, Neotheque, pages 77-94
2012 "
Nommer sa mère Ama ou Maā ? Transformation de l’usage des termes de parenté – Redéfinition des rapports à l’espace et effets de frontière - Cas du Zanskar, Himalaya indien" In « Frontières », Revue des Sciences Sociales n° 48, Strasbourg, pages 86-93
2013 "
Religious fundamentalism in Zanskar, Indian Himalaya" In S.Deboos, J.Demenge and R.Gupta (eds), "Ladakh: Contempory Publics and Politics", Himalaya, Vol.32, USA, pages 35-42
2014 "Constructions et négociations identitaires face aux fondamentalismes religieux: le cas des Zanskarpas, Himalaya indien" in Myriam Klinger et Sébastien Schehr (eds): Les dynamiques sociales et leurs conflits: mobilisations, regulations, representations, coll. Sociétés Religions Politiques, N°26, éd. Université deSavoie, Chambéry, pages 119-132
 
DOLLFUS PASCALE
1989,
Lieu de neige et de genévriers, organisation sociale et religieuse des communautés bouddhistes du ladakh, CNRS, Paris
1989
"Village’s lama of Ladakh", in Priesthood, powers and authority in the Himalayas, V. Bouillier et G. Toffin, collection Purusartha, n°12
1995
"History of Muslims in central Ladakh" The Tibet Journal , vol.20, n°3, Publication for the study of Tibet
 
GUTSCHOW KIM
2004,
Being a Buddhist nun , Havard University Press,
2009
, "The Practice of Tibetan Medicine in Zangskar: A Case of Wind Disorder". in Healing at the Periphery: Ethnographies of Tibetan Medicine in India. Laurent Pordie, ed. Durham, NC: Duke University Press.
 
MARTJIN VAN BEEK, KRISTOFFER BRIX BERTELSEN & POUL PEDERSEN
Ladakh – Culture, History, and Development between Himalaya and Karakoram, Aahus University Press, Denmark, 1999
 
RIABOFF ISABELLE, Le roi et le moine, figures et principes du pouvoir et de sa légitimation au Zanskar (Himalaya occidental), Thèse présenté à l’Université Paris X, 1997, 401 p.
 


Lexique

1 Le mari de Zoubida
2 «Mémé » signifie « grand-père »
3 « grand-mère »
4 Les toilettes ladakhi et zanskari sont à étage, le sol est pourvu de trous au dessus des quels les gens peuvent s’accroupir pour faire leurs besoins et d’un espace vide au rez-de-chaussée. Dans un angle il y a de la terre, que les gens jettent par le trou une fois qu’ils sont prêts à quitter ce lieu.
5 Soupe à base de farine d’orge grillé et d’eau
6 Préparation en forme de boule à base de farine d’orge grillé et de thé fermenté en décoction.
7 Thé noir ou rouge, fermenté et préparé en décoction. Cette décoction est ensuite diluée avec de l’eau.
8 Farine d’orge grillé

 

Vendredi 28 Novembre 2014
Dr. Salome DEBOOS - Université de Strasbourg - SAGE -UMR 6373

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