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Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Comme d'habitude, voici un extrait de carnet de voyage de Phil...mais celui-ci vient de son nouveau carnet qui vient de paraître de nouveau chez Bleue Editions : Carnet de Route Inde - Madhya Pradesh et Bénarès. Je vous invite d'ailleurs à découvrir ce nouvel itinéraire tracé au bout du crayon passionné et chaleureux de notre ami Phil, (désormais habituel invité de Couleur Indienne) sur son site dont vous trouverez le lien sur la page d'accueil...

L'extrait qu'il nous propose très gentiment, a gagné le 10ème prix d'un concours de carnet de voyage et c'est une très belle rencontre qu'il nous livre dans ces pages, toujours agrémentée de ses magnifiques aquarelles et photos...
Bon voyage !



3 journées d’un globecroqueur solitaire en Inde du Nord

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Ces 3 jours à Gwalior sont extraits de mon carnet de route, réalisé au cours d’un voyage de 3 semaines en solitaire au Madhya Pradesh et Varanasi en août/septembre 2005. Le texte a été intégralement écrit sur place. De même l’ensemble des croquis et aquarelles ont été entièrement faits sur le vif (couleur comprise).

Lundi 15 août

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Réveil un peu tardif… Le gars de l’hôtel s’attendait sûrement à ce que je demande qu’on me monte le petit déjeuner dans la chambre, mais je préfère de loin le prendre dans la rue ! Je choisis une toute petite échoppe et mange mes premiers pakori avec un chaï. Je retrouve avec plaisir mes habitudes. Le gars est bien sympa et s’amuse en entendant mon Hindi de débutant ! Je reste un petit moment à le regarder faire les beignets et le chaï.

Les rickshaws de Gwalior sont vraiment d’un autre âge, plus longs et plus larges, équipés de banquettes pouvant accueillir une dizaine de personnes. On les appelle les « tempos » et ça pétarade sec ! Un bruit qui me fait penser plus à un bateau qu’à un véhicule terrestre…

Je prends néanmoins un rickshaw ordinaire. Ici, pas la peine de discuter le prix, car il n’y a pas d’arnaque envers les touristes. Que de monde dans les rues ! On me dépose au pied de la route qui conduit au fort de Gwalior.

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Je ne tarde pas à découvrir ces impressionnantes statues jaïna sculptées dans la falaise de part et d’autre du chemin. Il y en a des dizaines, accompagnées de bas-reliefs. Les plus grandes font de 10 m à 17 m ! Décidément, ces Jaïns sont de sacrés artistes… J’opte pour un petit coin à l’ombre pour croquer l’une d’entre elles et il me faut bien faire un choix sur les 127 statues rupestres présentes en ces lieux ! Deux jeunes qui travaillent à la restauration des vestiges viennent me tenir compagnie et c’est parti pour ma première véritable aquarelle in situ !

Il fait une chaleur insoutenable et je ruisselle tant et plus. Il y aurait de quoi passer la journée à dessiner ces statues, mais il y a aussi tellement à voir ! Tout au long de cette rampe qui conduit à la forteresse, des gamins m’accompagnent.

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

La plus grande partie de la forteresse est occupée par des champs, mais se dressent aussi quelques temples et le fameux palais de Man Singh, splendide avec ses peintures bleu turquoise, vert, jaune, rouge… Assez unique en son genre ! En fait, c’est surtout pour lui que je suis à Gwalior…

Mais avant un nouveau dessin, il faut recharger les batteries et de voir ces familles se restaurer au milieu des colonnes des vestiges jouxtant le palais, m’a ouvert l’appétit. Que de couleurs ! Tous ces saris sont magnifiques, assez différents de ceux du Rajasthan, mais tout aussi riches… Les femmes sont très belles et j’aimerais les prendre toutes en photos ! Pour manger, il n’y a que le Gurdwara du temple sikh, qui sert des repas 24h/24h gratuitement, ici comme partout ailleurs. A la porte, je demande si je peux manger et on m’invite généreusement à entrer. J’abandonne mes chaussures pour un temps, couvrant ma tête avec le foulard. Tous portent des turbans et des foulards oranges sont prévus pour les visiteurs imprévoyants. Je prends place dans l’immense réfectoire aux côtés des autres convives assis en ligne sur des nattes très étroites. A mes pieds, un unique plat métallique posé à même le sol que des serveurs passant avec de gros seaux se chargent de remplir de riz, dhal et chapati.

Je commence à manger en souriant aux gamins en face de moi qui me dévisagent amusés. Les serveurs sont très élégants avec leurs barbes impeccables et leurs turbans très serrés. Comme beaucoup d’Indiens, peu importe leur religion, ils ne sont pas avares en sourires… Je peux aussi faire des photos sans aucun problème ! En fait, je me demande ce qu’ils me refuseraient et m’étonne d’autant de tolérance… Tous sont adorables et particulièrement le jeune Baljüt qui s’est attaché à mes pas. Leur chaï est délicieux et on me le sert devant un « air cooler »… Tous viennent me saluer chacun leur tour. Que d’attention et de moments magiques !

Puis je visite la cuisine où les hommes s’affairent, faisant cuire le riz et les dahl dans d’énormes gamelles. La confection des chapati est l’affaire des femmes et les voir faire est un pur régal ! Et je jure que tous ces superlatifs ne sont pas exagérés… Un vieux me propose ses services de guide pour le temple. Il est très récent et semblable à celui d’Amritsar que j’ai vu en photo. A l’entrée, en bas de l’escalier, se trouve un petit bassin où l’on trempe ses pieds en les frottant l’un contre l’autre, puis l’escalier conduit à l’esplanade du temple. C’est un édifice tout blanc avec un toit d’or dans lequel est gardée la relique, le Livre Sacré. Le vieux sikh nous explique, à moi et à un couple de Français qui m’a rejoint, les principes fondateurs de leur religion essentiellement basée sur une grande tolérance. A côté du temple se trouve un immense bassin carré entouré de colonnes et cela doit être impressionnant d’assister au bain…

Je retourne au réfectoire et croque le portrait de mon nouvel ami sikh. La technique de l’aquarelle directe est vraiment agréable…

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

L’endroit est plutôt insolite pour dessiner : adieu le calme ! Et comme nous sommes sans arrêt sollicités par les autres, nous nous réfugions dans une petite pièce contiguë. Le sol est crado, avec des restes de dalh sur les… dalles (facile, celle-là !). Juste un sac de toile de jute, d’où s’échappe une souris (et je préfère ça à un rat…) sous les fesses et je continue mon « œuvre ». De toute façon, il ne faut pas être trop regardant, car on marche pieds nus très souvent et le sol est loin d’être récuré à fond, voire sec ! La traversée de la cour brûlante de la mosquée de Delhi hier a déjà mis mes plantes de pieds à dure épreuve et elles commencent à être blindées. Heureusement qu’il y avait près des bassins à ablutions et à l’entrée des salles de prière des tapis servant de refuges salvateurs !

Je réalise soudain que je ne suis arrivé à Gwalior qu’hier et déjà tant d’images dans la tête ! Le vieux m’invite à quitter l’hôtel pour venir dormir ici… Je vais y réfléchir, mais l’idée me tente sacrément ! Si je m’étais écouté, je les aurais bien croqué tous tellement ils ont des visages et des allures vraiment typiques. A défaut, je les aurai en photos… Chalo ! Je continue mon périple non sans leur avoir donné rendez-vous demain à 13h00.

Le Teli-Ka-Mandir est un chouette temple hybride, mélange d’architecture du sud et de style jaïn. Au moment d’entrer à l’intérieur, je réalise que je n’ai pas pris de billet pour visiter l’ensemble du complexe de la forteresse et je reporte donc ma visite au lendemain. Alors, je m’amuse à regarder des gamins s’entraîner au cricket jusqu’à ce que le jeune lanceur me tende la balle ! La musique de Lagaan en tête, je m’exécute… La magie du voyage sur un temps donné est de savoir dosé le temps consacré à tous ces instants magiques et aux autres, plus « touristiques ». Chaque groupe croisé me couvre généreusement de sourires et de gracieux « Namaste ! » et il est bien agréable de longer les remparts en suivant le chemin de ronde en cette fin d’après-midi…. Je rencontre un sympathique allemand avec qui on se file rencard plus tard à l’Indian Coffee Restaurant qui est plutôt bien côté dans le LP et dans le Routard.

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

De nouveau seul, je découvre Gwalior, « petite » ville de 800 000 habitants et pourtant, aucun immeuble vertigineux, juste la sensation de déambuler dans un gros bourg. Les pétarades et klaxons incessants montent jusqu’aux remparts… Le chemin de ronde s’arrête sur la vision incroyable du Man Singh Palace accroché à flanc de falaise avec ses enfilades de tours et ses motifs multicolores peints sur les murs ocres. Je ne peux résister à une longue contemplation, imaginant la fureur des batailles de jadis, et me lance finalement dans une esquisse au crayon. Que c’est agréable de dessiner dans la fraîcheur du soir, perché au-dessus du vide, une fraîcheur toute relative qui vient seulement du vent… Il me faudra revenir tôt demain matin ou bien demain soir pour finir ce dessin, car le soleil ne va pas tarder à se coucher.

Passant devant les murs à dominante turquoise, je m’arrête pour photographier les gamins, profitant du retardateur et du mini pied pour me joindre à eux. L’impressionnante porte du fort conduit à une rampe pavée qui serpente vers la vieille ville. Un temple hindou, où règne une intense animation (prières à Shiva, chants, applaudissements), s’accroche à la falaise.

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Un petit moment de calme bien appréciable avant le re-plongeon dans la fureur de la ville grouillante d’activité. Petits vendeurs et charrettes, tirées par de superbes bœufs aux cornes immenses parfois peintes, travaillent et circulent au milieu des tempos, des motos et des piétons. La vigilance est de rigueur pour arpenter ces rues bondées.

Un rickshaw me conduit au cybercafé. La connexion est plutôt lente, mais je ne peux manquer de raconter à Mu et aux autres ce que j’ai déjà vécu lors de ces deux premiers jours déjà bien remplis.

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Puis je retrouve mon ami germanique Florian au restaurant. Quand nous nous sommes rencontrés la première fois, il m’a dit en avoir marre de la cette cuisine locale et j’avoue avoir eu peur qu’il ne m’invite dans une pizzeria ou une brasserie alsacienne ! Une réflexion qui la bien fait rire, car il parlait en fait des spécialités du Nord de l’Inde, préférant pour une fois goûter à la cuisine du Sud que je ne connais pas, donc, ça me va très bien ! [En écrivant ces lignes, j’étais en train de me dire qu’il manquait quelque chose dans cette chambre d’hôtel… le ventilo ! Je l’avais en fait coupé pour entendre les sons enregistrés sur le MP3 un peu plus tôt. A présent, les pales vrombissantes tournent à nouveau et tout est rentré dans l’ordre !] Je goûte donc à mes premières Masala Dosa, de délicieuses et immenses galettes fourrées de pommes de terre, d’oignons et de carottes au curry, servies avec un chutney de coco et des dahl. Excellent ! J’amuse tous les clients en prenant mon plat en photo…

Dans un français impeccable, Florian m’explique qu’il a appris à cuisiner ces spécialités à Daramsalah. Venant de Varanasi (le nouveau nom de Bénarès), il m’indique que le Gange était plutôt haut, rendant le passage d’un ghat à l’autre impossible à pied. J’espère qu’il aurait baissé d’ici quinze jours ! Il me conseille d’aller à Amritsar où il a beaucoup apprécié l’ambiance. J’avoue qu’après avoir rencontré tous ces Sikhs, de voir le Golden Temple au sein de cette communauté me tente… D’ailleurs, Baljüt est originaire de là-bas. C’est en fait l’équivalent de La Mecque, mais pour les Sikhs !

Florian m’invite aussi à aller visiter un jour l’Ouzbékistan qui est un pays magnifique. Au cours de la conversation, il m’explique qu’il est daltonien et qu’il perçoit les couleurs d’une manière très atténuée. C’est en partie pour ça qu’il apprécie autant l’Inde, car les couleurs y sont flamboyantes. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est dommage de ne pas pouvoir les contempler dans leur vraie intensité…

Mardi 16

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Je me suis couché tard hier soir et c’est raté pour le lever aux aurores ! Je saute quand même dans un rickshaw qui m’amène à la porte du fort. Je n’ai pas à chercher bien loin pour trouver mon petit déjeuner : pakori et chaï, on trouve tout dans la rue ! D’autant que les Indiens semblent apprécier qu’on se conduisent comme eux, ce qui rend leurs sourires encore plus généreux. Le chaï-wallah fait le timide, mais ses potes insistent pour qu’il se laisse prendre en photo. La porte du fort est un ouvrage très travaillé et je craque pour les deux statues des gardiens du musée archéologique. Comme la rampe qui mène au bastion est un peu raide, je me repose un petit moment à hauteur du temple hindou. Une vieille femme m’invite à m’asseoir près d’elle sous l’arbre en face. Un groupe d’hommes me demande de les photographier devant l’entrée du lieu sacré. Il est à peine 9h00 et il n’y a pas grand monde à l’intérieur du fort. Comme le soleil est caché, je m’installe à découvert pour croquer un bout de cette façade aux vives couleurs (turquoise, jaune, vert). Puis la pluie - si indienne dans sa soudaineté - me pousse à me réfugier sous un adorable petit kiosque suffisamment bien placé pour que je puisse continuer mon croquis à l’abri. D’autres gamins complètement trempés me rejoignent et c’est encore l’occasion de photos bien sympas…

Le musée m’a gentiment prêté un énorme pot à eau (pour l’aquarelle), car j’ai dû oublier mon gobelet quelque part. Quelques gouttes s’égarent sur mon cahier, mais bon, c’est de l’authentique eau indienne, un témoignage de plus de mon voyage ! L’ondée s’arrête au bout d’une demi-heure et tout sèche en moins de temps qu’il faut pour le dire, bien agréable car la température est nettement plus acceptable, mais cela ne durera pas... Mon croquis achevé, je me rends à l’intérieur du Man Singh Palace.

Quels trésors ces murs si colorés peuvent bien cacher ? C’est en fait une succession de cours joliment ouvragées avec quelques peintures de ci, delà.

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Les consoles sont remarquables en forme de dragons (chinese dragon), d’éléphants hybrides et de paons (pea-coq).

Une gamelle indienne (tipen)
Une gamelle indienne (tipen)

En sortant de ma visite, je salue le garde de l’entrée qui mange à même le sol. Aussitôt, il m’invite d’un sourire à m’asseoir à ses côtés. Sa femme lui a préparé de délicieux chapati accompagnés de dahl et des haricots excellents que l’on partage. Je lui dis de transmettre mes félicitations à son épouse… Que j’aime ces rencontres toute simples !

Un groupe de touristes espagnols passent près de nous et il est sûr que nous ne faisons pas du tout le même voyage. Promod, le garde de l’entrée, m’écrit un mot sur mon carnet. Je repasserai le voir demain… En attendant, il me fait visiter tout le palais en n’omettant aucune explication ! Il m’explique qu’à l’époque, les cours étaient ornées de miroirs ce qui permettait aux femmes d’apercevoir leur reflet à travers les jali (claustra) de pierre. Je me régale à photographier quelques indiennes en visite, leur montrant leur portrait sur l’écran LCD. La magie de l’instantané !

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

A 13h30, comme convenu, je me rends au temple sikh. Je croise mon ami Baljüt avec un pote juste devant le fort, puis continue mon chemin. Au réfectoire, Jogender m’offre le chaï. Les femmes sont en train de trier le riz en chantant, et je reste un petit moment à les regarder faire, à les écouter et à les enregistrer. D’ailleurs, elles se demandent qu’est-ce que c’est que ce minuscule « bidule » que je pose à leur pieds… Nous accompagnant dans notre dégustation, je retrouve le vieux que j’apprécie beaucoup avec ses splendides moustaches. Il est hilare en permanence et hier, les autres m’ont fait comprendre d’un signe du doigt plutôt explicite qu’il n’avait pas toute sa tête… Mais n’est pas le plus fou celui qu’on croit, car il s’est à son tour, bien moqué d’eux ! C’est lui qui nous sert le chaï. C’est toujours un peu dérangeant de se faire servir par ses hommes debout alors que nous sommes assis par terre…


Puis Jogender me montre la chambre N°7 et me donne la clef. Plutôt pas mal, équipée d’un air-cooler et d’un bain privatif, c‘est le pied ! Vraiment royal, je ne m’attendais pas à ça… Je n’ai plus qu’à aller chercher mon sac pour m’installer. Mais avant, je tiens à finir la visite des lieux et des autres temples. Cette fois, j’ai le ticket complet et j’ai le droit de pénétrer dans l’enceinte du temple. En sortant du temple sikh, je salue les jeunes qui bossent à la restauration des façades, perchés sur des échafaudages de fortune. Ils répondent à mon salut et m’invitent à monter pour boire… le chaï ! Me voilà donc à grimper sur les structures en acier et bambous ! Leur thé est délicieux avec un goût de clou de girofle plus prononcé que d’habitude… En échange d’un paan masala, je leur offre un « fisherman friend » et je leur demande de m’écrire quelques mots dans mon carnet. Encore une petite séance de photos… J’en profite aussi pour les enregistrer avant qu’ils ne reprennent leur boulot. La magie opère toujours !

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Le Sasbahu Temple date des IXe et XIe siècles et ressemble à celui de Ranakpur, bien que nettement moins impressionnant. J’y rencontre un couple d’allemands fort sympathique. Steffi porte un superbe salwar kameez et Stefan, une chouette kurta assortie à son pantalon. C’est exactement ce que je cherchais à Delhi… Nous passons un moment à discuter sur une plate-forme du temple et échangeons nos expériences indiennes. Ils ont bossé trois mois dans le Sud, lui comme infirmier dans un hôpital et elle, à l’orphelinat. Puis ils ont entamé leur remontée de trois mois vers le Nord. Ils sont aussi très intéressés par mon carnet. Je leur propose de se joindre à moi chez les Sikhs ce soir. Ils acceptent volontiers et on se quitte.


Je redescends la longue rampe qui rejoint la ville et croise une grande effervescence au temple hindou pour la puja de fin d’après-midi. Mais je ne m’y arrête pas, car je suis un peu pressé. J’ai juste le temps d’un aller-retour en rickshaw pour prendre une douche, faire mon sac, récupérer mes billets de train (pour 60 rps, les gars de l’hôtel s’occupent de la réservation) pour les prochains trajets (Gwalior-Bhopal et Bhopal-Jhansi). Rejoindre Varanasi par le chemin de fer semble plus aléatoire : d’après Steffi, tous les trains allant sur Mumbaï ont été annulés à cause des travaux dus aux inondations historiques qu’a connues la mégapole dans le courant du mois … On verra bien ! Il y a encore pas mal d’animation en ville ce soir et je suis vraiment fasciné par ces étonnants tempos. Bâchés dans la journée pour se protéger de la morsure du soleil ou de la pluie et décapotés le soir pour profiter de la relative fraîcheur… Que d’échoppes et de marchands ambulants !

Puis c’est la grimpette vers le temple sikh, en portant mes deux sacs cette fois ! Les effets bénéfiques de la douche sont vite annulés et je suis trempé de sueur en arrivant en haut. Steffi et Stefan me disent qu’ils sont trop crevés pour venir avec moi, tant pis…J’entame une longue marche dans l’obscurité sur le chemin du fort vers le temple. J’y croise les hommes chargés d’allumer le petit temple hindou à côté de l’école privée Scindia. Sitôt arrivé au temple sikh, attiré par les chants, j’assiste à la prière. L’arrivée dans ce lieu de culte est assez impressionnante avec ce sol de marbre tout lisse que l’on traverse les pieds mouillés après le passage dans le bassin qui garde l’escalier…

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Un homme se tient au centre tenant le Livre Sacré qu’il passe parfois au-dessus de sa tête en psalmodiant de saintes paroles. J’esquisse quelques attitudes sur mon carnet et capte quelques sons…

Les plus jeunes m’invitent à imiter leurs gestes et, même si tant de dévotion me laisse perplexe, je joue le jeu et les suis à l’étage où le Livre est déposé dans une niche semblable à celle d’en-dessous. Je ne peux m’empêcher de me demander qui est à l’origine de ce curieux rite… Puis le plus ancien nous distribue une pâte sucrée (pourtant proche du tô malien, c’est dire…) que l’on recueille dans nos paumes ouvertes. Je me fais offrir le chaï par Jogender en compagnie d’autres jeunes. Un parcours étonnant pour cet homme qui , de fermier, est devenu guide bénévole et responsable de la communauté présente ici. Heureusement pour moi, il parle assez bien l’anglais et c’est bien pratique pour communiquer.

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Je profite qu’un jeune réajuste son turban pour étudier l’art et la manière de l’ajuster. En fait, les cheveux très longs sont torsadés à la main, puis réunis en chignon et noués juste au-dessus de front. Le turban (une étoffe très légère longue de 5 mètres) est alors enroulé autour. Je comprends mieux maintenant à quoi correspond la « boule » de ce que j’appelle le « bonnet de schtroumpf » que portent tous les jeunes Sikhs !

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Puis nous nous rendons au réfectoire où les hommes d’un côté et les femmes de l’autre se répondent en chantant la même litanie. Cela dure plus d’une demi-heure… et je commence à avoir sérieusement faim ! C’est un rituel avant le repas qui s’apparente à une sorte de transe, mais immobile.

Je croque quelques attitudes pour patienter et lorsque arrive enfin l’heure de se remplir la panse, personne ne traîne à s’asseoir sur les nattes par terre ! On mange face à face, cette fois-ci, hommes et femmes mélangés. Des serveurs garnissent nos paumes ouvertes de chapati puis remplissent de dahl un bol en métal pour chacun. La nourriture est plutôt épicée, mais je supporte assez bien… C’est un régal et je n’hésite pas à demander du rab, ce qui ravit mes voisins de nattes, deux vieux aux barbes magnifiques !

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Avant d’aller me coucher, j’amuse un peu la galerie (au moins une vingtaine de Sikhs de tous âges) en prenant une photo du temple éclairé à l’aide du mini pied et du retardateur. Ils sont tous impressionnés et semble-t-il satisfaits, par le résultat qu’ils découvrent sur l’écran !

Je me couche enfin, les oreilles encore imprégnées de leurs chants… et de cette litanie qui tourne en boucle dans ma tête : « Chalo ! Shub rati ! ». Tout est parfait, même si l’eau goutte au robinet, que le matelas est un peu trop mince et que les moustiques me trouvent un peu trop à leur goût !

Mercredi 17

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

[J’entame la rédaction de cette journée sur le quai en attendant le « G.T.Express » pour Bhopal…] Ce matin, petit déjeuner frugal (un chaï) que je suis invité à prendre dans la cuisine plutôt que dans le réfectoire, en compagnie du chaï-wallah et assis sur une simple toile de jute posé au sol. Là sur trouve aussi un autel avec des portraits de guru sikhs plutôt kitsch, comme ils aiment ! Ils sont tous fiers de poser devant pour le premier cliché de la journée. Ils me montrent ensuite le jardin avec au fond, quelques vaches pour le lait. Avec tout le chaï qu’ils boivent à longueur de journée, elles ne doivent pas chômer ! Puis je retourne voir les femmes à la confection des chapati, ce qui me donne l’occasion d’un petit film.

Sur le chemin du fort, un jeune à vélo m’invite à sauter sur son porte-bagage jusqu’au croisement où on se sépare. Après un court moment d’hésitation, je me lance enfin dans l’aquarelle d’une des façades du Man Singh Palace, celle où se trouve la porte. Les couleurs sont plutôt bien conservées et ça devrait le faire ! Par bonheur, le ciel est nuageux et le soleil timide, ce qui me permet de bien choisir mon point de vue, sans me soucier d’un abri. Adossé au mur du musée, je m’installe, leur demandant de me donner un peu d’eau… Ce qu’ils font de bonne grâce en m’apportant une immense carafe !

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

[De jeunes curieux s’approchent et discutent, bientôt rejoint par une gamine qui vend des cartes postales. Mon croquis lui plaît apparemment beaucoup et comme elle est bien mignonne, je lui achète quelques cartes et lui en offre une des Pyrénées que je ne manque pas d’emmener avec moi en voyage pour leur montrer à quoi ressemble l’endroit où je vis. En échange, elle m’offre un cône de henné ! La pluie nous arrose enfin, mais je viens juste de finir…

Descente mouillée vers la ville, les chants du temple hindou cédant rapidement la place au brouhaha incessant des rues. Je retrouve mon cuistot de pakori et demande à les accompagner de sauce piquante, cette fois-ci… Soyons fous ! Mon Hindi s’améliore d’heures en heures. Il faut dire que les «profs » ne manquent pas, il y en a un à chaque coin de rue ! Le jeune chargé de passer le rouleau à pâtisserie est vraiment très sympa…

Puis je vais boire mon chaï à cinq mètres de là, préparé sur un de ces plateaux fixés sur quatre roues de vélo que l’on voit partout. Puis c’est au tour du ravitaillement en eau (pani) de bouteille chez le même revendeur qu’hier, croisant des policiers toujours aussi chaleureux (ça fait drôle de dire ça… !). Ils m’expliquent gentiment quel tempo je dois prendre pour me rendre à Gopachal où sont érigées d’autres statues jaïna. En-dehors de la curiosité pour ce lieu, j’avais vraiment trop envie de monter dans un de ces engins peu banals !

Celui-ci se remplit assez vite et la dizaine de voyageurs assis obtenue, le nombre s’accroît encore, car les retardataires peuvent se cramponner à la carrosserie.

Le site de Gopachal se trouve en contrebas des remparts du fort. Encore des dizaines (ou bien des centaines ?) de statues de Thirtankara jaïna creusées dans le roche. Je suis une fois de plus sollicité pour un lancer de balle de cricket qui fait rire tous les gamins attroupés pour voir ça ! L’ascension est bien agréable, pieds nus, avec la sensation de quitter la ville pour se retrouver en pleine nature. C’est plutôt une heureuse surprise, car le site est superbe !

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

[Des statues ressemblant à Bouddha sont enfermées dans des niches rectangulaires avec une petite ouverture frontale souvent assez basse pour y entrer et ouverte sur leur partie supérieure.

Les socles supportant les statues, tantôt assises, tantôt debout, sont admirablement sculptés. C’est une drôle de sensation de se retrouver au pied de ces Bouddha immenses et cela me rappelle un peu l’ambiance à Sukhothaï en Thaïlande…

A l’intérieur d’une des niches, un gardien m’invite à le rejoindre dans la fraîcheur de l’ombre. J’y découvre avec stupeur des dizaines d’autres spécimens tout aussi splendides. L’acoustique du lieu est assez géniale et après avoir sympathisé avec l’homme, je lui demande de me chanter quelque chose… pour l’enregistrer et le filmer. Génial ! Et une fois de plus, la pluie nous rend une visite impromptue. Je reste donc un peu plus longuement dans cet endroit magique…on fait pire comme abri de fortune ! Et pourquoi pas, un petit croquis en Noir et Blanc comme autrefois ?

Puis je me rends au pied des plus grandes statues qui doivent approcher les 20 mètres de haut.

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

Après cette très belle balade imprévue, je reviens en ville. Un nouveau chaï-wallah me propose un mélange particulièrement réussi, fort en goût de cardamome cette fois ! Je le filme dans sa préparation : il sort une cardamome de sa poche qu’il broie avec un gros cailloux avant de la plonger dans le lait bouillant. C’est fou comme les gens sont adorables ! Un auto-rickshaw me conduit au mausolée de Gans. C’est une architecture moghole magnifique aux jali extraordinaires. Petite conversation entre « amis » avec des vieux assis à l’ombre ajourée de ces claustras de pierre…

Dans la rue, l’animation est à son comble et les saris et les salwar kameez sont tous plus beaux les uns que les autres ! C’est un pur régal pour les yeux… Dans deux jours, c’est la fête du Rakhi lors de laquelle les frères et sœurs s’offrent des gâteaux et des bracelets de pacotille. Des échoppes ambulantes s’improvisent pour cette réjouissance très populaire et présentent leur marchandise clinquante d’un jour. Une femme s’est installée sous un immense parapluie faisant face à des clientes accroupies pour faire leur choix. Je ne sais plus où donner de la tête et c’est sans compter toute la ménagerie : ânes, vaches, bœufs, buffles… et curieusement, pas de singes à Gwalior ! Je choisi une échoppe qui vend de l’huile pour faire un croquis d’une scène de rue. Les hommes me cèdent gentiment une place assise quand ils comprennent que je désire faire un « painting » (avec l’accent, c’est d’enfer !).


Le résultat me convient, mais c’est surtout parce que cela m’offre toutes ces rencontres inoubliables que j’affectionne particulièrement… même si souvent ces Indiens ne parlent que très peu l’anglais. Tellement de choses passent par leurs sourires et leurs regards !

Encore un tour près de la mosquée où je me réapprovisionne de mes pakori préférés que je finis par offrir à des femmes qui vendent de l’herbe… pour les vaches ! Le quartier est très populaire et les habitants adorables… Pour la dernière fois, je gravis la rame menant au fort. Une belle musique s’échappe du temple et je reprends le chemin jusqu’au Gurdwara Temple, dans la même obscurité qu’hier. J’y découvre des joueurs de tablas et d’harmonium. Je m’assieds sur l’esplanade de marbre un moment pour les écouter, puis pénètre à l’intérieur du temple. Je découvre Jogender dans une pièce réservé au culte, occupé à psalmodier des écrits extraits d’un énorme livre posé devant lui . J’aurai aimé lui dire au revoir, mais sa concentration spirituelle était telle que j’ai vite compris que je ne devais pas le déranger.

Une fois douché et mon sac sur le dos, j’ai la chance de prendre au vol une jeep qui redescends vers la ville. Dix minutes plus tard, me voici dans un rickshaw en direction de la gare en compagnie d’un Sikh et de sa femme. Puis c’est la pause Internet qui se transforme vite en galère : une connexion très lente, un PC qui plante et une unité centrale par terre, tout ça pour se retrouver au final avec un mail retaper trois fois et bourré d’unicodes indéchiffrables à la place de tous les accents !

Le train a du retard, ce qui m’a laissé le temps de finir d‘écrire. Je ne me plains pas non plus de la pluie qui tombe à nouveau, si douce, si rafraîchissante… Il y a des gens qui dorment sur les quais plongés dans le noir, mais aussi dans la salle d’attente, à même le sol… comme sur les trottoirs dans les rues, d’ailleurs !

Le GT Express arrive enfin… Mon voisin de couchette descend aussi à Bhopal et me voilà rassuré. Toujours cette hantise de rater mon arrêt et de me réveiller Dieu sait où ! Les sacs attachés sous les sièges par des cadenas (on n’est jamais trop prudent…), il est trop tard pour discuter… Namaste !

FIN

Petit lexique

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)
Petit lexique des mots en hindi utilisés :
(le « c » se prononce « tch », le «j » se prononce « dj », le « u » se prononce « ou »)


Chaï : thé au lait sucré et épicé
Chalo ! : allons-y !
Chapati : galette de farine de blé complet
Dhal : lentilles épicées
Ghat : berges recouvertes de marches de pierre
Guru : maître spirituel
Jaïna : de religion jaïn, religion très respectueuse de la vie sous toutes ses formes
Jali : écran ajouré (claustra)
Kurta : longue chemise portée par les hommes
Lagaan : ce film « Bollywood » raconte l’introduction du cricket en Inde devenu sport national
Masala : mélange d’épices (curry)
Namaste : bonjour, au-revoir (se dit aussi Namaskar)
Paan noix d’arec, pâte de citron vert, épices, condiments, le tout enveloppé dans une feuille de bétel que l’on chique et recrache quelques minutes plus tard…(on s’habitue vite aux crachats rouges !)
Pakori : beignets aux herbes et aux piment
Puja : prière ou offrande
Rickshaw : tricycle à propulsion humaine ou motorisé (auto-rickshaw)
Salwar kameez : pantalon large porté par les femmes avec une tunique longue
Shub rati ! : bonne nuit !
Thirtankara : maîtres jaïn divinisés, les « passeurs de gué », inspirateurs de cette religion
Tô pâte de mil accompagnée d’une sauce aux feuilles de baobab, au goût un peu spécial... (Mali)
Wallah : littéralement « celui qui fait », ex chaï-wallah : vendeur de thé, rickshaw-wallah : chauffeur

Faites-vous plaisir

Gwalior (extrait du nouveau carnet de voyage de Phil : Madhya Pradesh et Benares)

J'espère que vous avez aussi aimé ce très bel extrait du nouveau carnet de route de Phil...

Si vous voulez découvrir ses autres carnets de route "Brut de voyage" en Inde et ailleurs, cliquez sur le lien que vous trouverez sur la page d'accueil mais aussi ci-dessous, au lien suivant, qui vous permettra de survoler des extraits de ce nouveau carnet "Carnet de Route Inde - Madhya Pradesh et Bénarès" dont a été extrait ce très beau récit sur la rencontre de de notre globecroqueur avec la ville de Gwalior...C'est d'ailleurs un de mes extraits préférés...

Merci Phil de m'avoir permis de publier sur le site ce bel extrait...presque en exclusivité (!) et de nous ravir de tous ces différents extraits de ton précédent carnet de voyage sur l'Inde, avec Le Rajasthan d'abord, (ainsi que des pages de ton calendrier qui nous a tenu compagnie toute l'année 2006) depuis près d'un an maintenant.

Merci à toi aussi Mu d'avoir édité ces très beaux carnets et à tous les deux de nous offrir d'aussi merveilleux "bruts de voyages" ! Dans le prochain numéro, promis, une interview de ce cher globecroqueur !

Jeudi 15 Février 2007
Philippe BICHON

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