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Le théâtre indien, un art d'origine mythique

Le théâtre indien est assez méconnu en Europe mais il est un autre des arts d'essence spirituelle, au même titre que la danse et la musique en Inde. Mais quelle est son origine ? Quels sont ses principes et ces particularités. C'est ce que je vous propose de découvrir dans cet article en plusieurs parties.



Les origines


La période précise de la naissance du théâtre en Inde n’est pas connue. Elle se perd en quelque sorte dans la nuit des temps. Sa genèse n'est même pas mentionnée durant la période védique (1500-500 av. J.-C.), contrairement à la musique et la danse. Toutefois l'organisation et la célébration du rituel védique, avec le choix du lieu consacré, les récitations et les gestes de ses participants, comportent de nombreuses similitudes avec la scène théâtrale. De plus, certains hymnes dialogués du Rig-veda (1500 av. J.-C.) font penser à des ébauches de scénarios dramatiques, comme les strophes où Purûravas, simple mortel, supplie la nymphe céleste Urvashî de reprendre leur vie commune, et se voit essuyer un refus catégorique.

C’est l'arrivée du Nâtyashâstra, le traité sur l'art dramatique composé par le sage Bharata entre 200 av. J.-C. et 200 de notre ère, qui impose finalement les bases du théâtre et du spectacle scénique en Inde. Minutieusement décrit et classé dans tous ses aspects théoriques et techniques, le théâtre nous y est livré déjà tout accompli. Ce traité débute par le beau récit de la descente de l'art théâtral parmi les hommes. Ce mythe fondateur, très riche, est déjà en lui-même une pièce de théâtre, et pose certaines des bases fondamentales de l'art dramatique indien.

L'histoire raconte qu'un jour les sages demandèrent à leur maître Bharata quelle était l'origine et la l'essence du théâtre. Ce dernier leur répondit alors qu'il eut un temps où les gens, simples mortels, étaient soumis aux plaisirs des sens. Un temps où régnaient dans le monde la cupidité, la colère, et la jalousie. S'inquiétant de ces turpitudes qui traduisaient une mauvaise pratique religieuse de l'homme, les mettant au niveau des plus basses castes (les shudras), les dieux désespérés demandèrent à Brahma "quelque chose qui soit objet de jeu, quelque chose à voir et à entendre. Pour ces générations de Shûdras, la pratique des Vedas ne peut faire l'objet d'une transmission orale." Ils ajoutèrent qu'il fallait que Brahma émette "donc un nouveau et cinquième Veda destiné à toutes les classes".

Brahmâ y consentit et puisa les principes pour créer le théâtre dans les quatre Vedas. La récitation (pâthya) fut empruntée au Rig-veda,
le chant (gîta) au Sâmaveda,
le jeu (abhinaya) au Yajurveda,
et le sentiment esthétique (rasa) à l'Atharvaveda.
Il décrivit ensuite le théâtre comme « la représentation, pour le monde à venir, de toutes les formes d'activités ... la substance de toutes les sciences, la mise en œuvre de tous les métiers. ».

Brahmâ proposa alors de remettre ce cinquième Véda aux dieux pour qu'ils l'inculquent aux hommes, mais le dieu Indra objecta que ces derniers n'étaient pas compétents. La science du théâtre, conçue pour représenter « la diversité des conduites humaines », ne pouvait être appliquée et comprise que par les humains.

Bharata, fut alors choisi pour promouvoir l'art dramatique aux hommes l'enseigner à ses cent fils. Après avoir mis en oeuvre différents styles dramatiques, Bharata se rendit compte qu'il y manquait la « la grâce», que seules les créatures féminines pouvaient lui apporter. Brahmâ lui envoya alors de nombreuse créatures célestes expertes, comme les nymphes , les apsaras, aux noms gracieux : "Parfumée", "Doux-cheveux", "Baladine", et tant d'autres.

Puis vint le jour pour Bharata de présenter la première pièce de théâtre, il profita d'une fête fameuse de l'époque, appelée fête de l'Etendard pour cela. Une foule nombreuse s'assembla pour voir, représenté sur la scène, la victoire d'Indra et des dieux (devas) sur les démons (asuras). Les dieux, enchantés et honorés par ce spectacle, offrirent de nombreux présents. En revanche, les démons qui assistaient eux aussi à cette représentation furent choqués et scandalisés de voir que le théâtre avait été créé à l'avantage des dieux. Usant de leurs pouvoirs, ils neutralisèrent la parole, les gestes et la mémoire des acteurs. Furieux de cette offense, Indra s'élança et tua les esprits malfaisants autour de la scène. On organisa alors une autre fête, mais quelques démons guettaient ici et là pour empêcher le spectacle. Brahmâ ordonna alors à Vishvakarman, l'artisan céleste, de construire une maison pour le théâtre, et pria toutes les forces célestes de protéger l'édifice. Indra et Brahmâ eux-mêmes, avec tout ce qu'il y a de divin dans le monde, y compris les quatre castes, les gnomes et les dragons, et tant d'autres, se firent chacun les gardiens d'une des parties de la maison qui abritait le théâtre.

Puis Brahmâ alla parlementer avec les démons : « Ce n'est pas exclusivement votre nature ni celle des Dieux que représente le Théâtre ; mais il décrit les manifestations des trois principes qui régissent le monde tout entier. Tantôt la loi, tantôt le jeu, tantôt la richesse, tantôt la quiétude, tantôt le rire, tantôt la guerre, tantôt la passion, tantôt la mort violente... Montrant les chemins de la loi, de la gloire, de la longue vie et de la grâce, fortifiant l'intelligence, ce Théâtre sera pour tout le monde une source d'enseignements. » Différentes prescriptions furent enfin données pour l'organisation des différents rituels et offrandes sur la scène. Ainsi fut créé le théâtre, né de la parole divine.

Les différentes techniques de jeu


Le théâtre indien traditionnel est entièrement codifié et symbolique. Cependant, il n'a que très peu de décor et l'intrigue n'est qu'un prétexte à la représentation par l'acteur des émotions et des sentiments humains. L'art dramatique indien recherche à mener le spectateur vers un état de sérénité et de jouissance esthétique.

L'Abhinaya (l'art de la représentation) est divisé en quatre techniques de jeu :

Angikabhinaya (stylisation de la gestuelle)
Vachikabhinaya (modulation de la voix parlée ou chantée)
Aharyabhinaya (habillage, maquillage et décoration)
Sattvikabhinaya (expression muette des sentiments).

Le Kathakali


Le kathakali കഥകളി (de katha histoire et kali, jeu, en malayâlam) est une forme de danse classique - de théâtre dansé - originaire de l'état du Kerala dans le sud de l'Inde fixée en 1657 à partir de formes traditionnelles comme le Krishnayapattam, le Kutiyattam. C'est une combinaison spectaculaire de drame, de danse, de musique et de rituel. Les personnages aux maquillages élaborés et de couleur vives et portant des costumes raffinés reconstituent des épisodes tirés des épopées hindoues, le Mahâbhârata et le Râmâyana.

Le travail de l'acteur de kathakali est très exigeant physiquement et il se maîtrise en employant les mêmes méthodes de concentration et d'énergie mises en œuvre dans l'entraînement du kalaripayat, l'art martial antique du Kerala. Les expressions du visage, les regards et les positions de mains ou hasta forment une grande partie du jeu des acteurs.

La troupe est composée habituellement de douze acteurs, quatre chanteurs et quatre percussionnistes. Les maquillages, très complexes, sont réalisés à partir de pâtes de riz par des artistes spécialisés et leur élaboration demandent plusieurs heures de travail.

Un véritable spectacle de kathakali, éclairé par des lampes à huile, dure généralement de dix heures du soir jusqu'à l'aube. Contrairement aux styles qui l'ont précédé, le kathakali n'est joué que par des hommes qui tiennent aussi les éventuels rôles féminins.

Le Kutiyattam


Le Kutiyattam est l’unique forme de théâtre en langue sanscrite subsistant aujourd’hui en Inde. Sa tradition remonte au IXe siècle, et elle s’est perpétuée sans interruption jusqu’à nos jours. Un spectacle complet se déroule sur plusieurs nuits, selon la durée de l’oeuvre jouée et l’importance de l’occasion. Le Kutiyattam demeure le modèle d’excellence de tout le théâtre indien, et ce n’est pas pour rien qu’il a récemment été déclaré « chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité » par l’UNESCO. Les performances d’acteurs, hommes et femmes, sont d’une extrême subtilité, rehaussée par la splendeur de costumes et de maquillages très raffinés. Sur l’accompagnement lancinant des grands tambours, l’action repose sur une chorégraphie très codée, dont le moindre geste est doté d’une signification précise.

Composé au Ve siècle par le grand poète Kalidasa, « Shakuntala » est considéré comme le chef-d’œuvre absolu du théâtre indien. Sa traduction avait d’ailleurs suscité l’émerveillement de Goethe, qui s’en inspira directement dans la rédaction de « Faust ». Cette pièce est rarement jouée, peut-être en raison de sa perfection formelle,

Quelques références bibliographiques


Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez consulter l'excellent site d'Alain Joly qui a écrit un très bon article sur le théâtre au lien suivant (je m'en suis un peu inspirée) : http://perso.orange.fr/alainjoly1/arts-vivants2.htm

Pourquoi le théâtre ? La réponse indienne" par Lyne Bansat-Boudon - Collection les quarante piliers - Editions Mille et une nuit, 2004.
- "Le Théâtre de Kalidasa" (Sakuntalâ au signe de reconnaissance - Urvasî conquise par la vaillance - Mâlavikâ et Agnimitra) - Traduction du sanskrit par Lyne Bansat-Boudon - NRF. - "Poétique du Théâtre Indien, Lectures du Nâtyasâstra" de Lyne Bansat-Boudon - EFEO (Ecole Française d'Extrême Orient).
- "Introduction to Nâtyasâstra", par Adya Rangacharya - Munshiram Manoharlal Publishers Pvt. Ltd., 2005.
- "Traditional Indian Theatre", par Kapila Vatsyayan - National Book Trust India, 2005.
Le théâtre de Kālidāsa ("Śakuntalā au signe de reconnaissance", « Urvaśī conquise par la vaillance », « Mālavikā et Agnimitra »), traduit du sanskrit et du prākrit, présenté et annoté par Lyne Bansat-Boudon, Connaissance de l'Orient, Gallimard, 1996.


Il y a aussi surtout Sylvain Lévy (1863-1935), grand indologue et spécialiste de l'art et de la civilisation indienne, dont le livre "le Théâtre Indien" est une véritable mine de renseignements précieux et précis sur cet art.
Sylvain Lévi, Le Théâtre Indien, Deuxième tirage, 1963, Publié à l'occasion du centenaire de la naissance de Sylvain Lévi, Bibliothèque de l'École des Hautes Etudes, IVe section, 83è Fascicule, Paris, Distributeur exclusif: Librairie Honoré Champion.

Vendredi 31 Juillet 2009
Fabienne-Shanti DESJARDINS

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